L’histoire de mon internement en Égypte durant la guerre des six jours
Le 5 juin 1967 dans l’avant-midi 2 officiers habillés en civil sont venus nous chercher à l’usine, mon père, mon frère de 17 ans et moi âgé de 19 ans, laissant derrière nous ma grand-mère, ma sœur âgée de 16 ans et mon petit frère de 15 ans.
Ils nous ont dit de ne pas s’inquiéter, que c’était juste des formalités et qu’on serait de retour dans 5 minutes. Ils nous ont conduits au KISM de police de Moharrem Bey. Là on nous a mis dans une petite cellule (1m x 2) il y avait déjà 6 à 7 autres personnes. Nous sommes restés là 3 jours, avec peu ou presque pas de nourriture, dans l’obscurité totale, debout la majorité du temps, vu le manque d’espace.
Le 8 juin, on a été transférés dans une très grande salle où il y avait 150 à 200 personnes, tous des juifs. C’est là d’ailleurs que j’ai vu mon oncle. Les officiers prirent les présences puis nous ont menottés 2 par 2, et transportés vers la gare centrale, où un train nous attendait pour nous amener au Caire.
À chaque station ou le train s’arrêtait il y avait une foule de gens qui nous criaient des slogans, nous crachaient dessus et nous jetaient des pierres. Arrivée à la gare du Caire, on a été tassés dans des paniers à salades et transportés vers la prison d’Abou Zaabal, une chance qu’il y avait un cordon de policiers qui nous protégeait, car la foule nous aurait alors tous déchiquetés.
On a appris plus tard qu’un ministre nous avait fait passer pour des prisonniers de guerre Israéliens.
Il faisait nuit lorsque les camions se sont arrêtés devant une grande porte en fer. On pouvait apercevoir 5 à 6 officiers et plusieurs gardes qui nous attendaient avec des branches de palmiers et des bâtons. On a été littéralement jetés de ces camions. Nous étions enchaînés 2 par 2, lorsqu’on atterrit on était roués de coups de bâtons, puis entassés dans la cour de la prison, accroupis sur nos talons jusqu’aux petites heures du matin.
À chaque heure les officiers se promenaient et nous fouettaient avec leurs branches de palmiers, certains d’entre eux couraient et sautaient sur nos épaules. Les personnes qui perdaient l’équilibre ou qui flanchaient été rouées de coups. À 4 heures du matin, les gardes ont dressé une table et placé une nappe blanche. Ils ont fait venir des grands couteaux de cuisine qu’ils déposèrent sur la table. On entendait le bruit des lames qui frottaient les unes contre les autres.et les officiers qui criaient aux gardes d’affiler les couteaux pour qu’ils nous égorgent. Nous avons même entendu un officier demander à un autre s’il ne voulait pas égorger un lui même. Alors on s’est mis tous à faire nos prières.
Dès qu’il a commencé à faire jour, on a été appelé un par un. Ils ont fait venir 5 ou 6 frères musulmans avec leurs tondeuses à cheveux. Nous devions nous déshabiller et remettre nos effets personnels à l’officier, puis on passait à la tondeuse qu’ils trempaient de temps en temps dans un seau de pétrole. Une fois rasé on nous remettait une couverture en laine, un plat en aluminium et une tenue de prison. On devait mettre le tout sur notre tête et courir en caleçon et pieds nus au 2e étage où d’autres officiers nous tapaient dessus au passage. Ils nous faisaient faire 2 à 3 fois le tour des cellules, puis ils nous rentraient dans l’une d’elles. Entre temps en bas, le show continuait.
Quand le tour du Rabbin d’Alexandrie arriva, ils l’ont crucifié sur la grille de la porte d’entrée de la prison. Ils l’ont battu jusqu'à qu’il perde connaissance.
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Une fois dans les cellules ils nous ont laissé sans nourriture jusqu’au lendemain. Il y avait au 2e étage 5 cellules de juifs, 3 cellules de nachat mouadi (activités hostiles au régime). Le premier étage était occupé par près de 700 frères musulmans. La cellule mesurait environ 18 mètres de long par 6 mètres de large. Le parterre était en dalles blanches. Il y avait 70 personnes par cellule. Nous avions droit chacun à 2 dalles et demie de largeur, par 7 de longueur. C’est-à-dire, 50 cm par 140 cm par personne.
Le soir quand on dormait on était entassé comme des sardines. Les pieds de la personne opposée vous arrivaient au niveau du ventre. Le plat d’aluminium servait aussi d’oreiller. Deux à trois fois par jour il y avait des raids, les officiers rentraient dans la cellule, il fallait qu’on se mette au garde à vous face au mur et répéter 2 à 3 fois les slogans que le chef de cellule criait. « Abat l’impérialisme Israélien et Américain », « Vive Abdel Nasser », « Palestine est arabe », « le pétrole des arabes aux arabes » et bien d’autres. Entre temps les officiers faisaient le tour de la cellule et battaient les gens au hasard.
Les premiers 2 à 3 mois on n’avait pas de savon pour se laver, ni des vêtements de rechange. La nourriture le matin c’était toujours des fèves, à midi des fèves concassées ou des lentilles, parfois du riz et le soir du fromage ou de la mélasse fermentée. Le pain était fait à base de son de blé, on croquait souvent sur des graines de sable ou de petites pierres.
Après 3 mois on a eu la première visite des parents, qui nous ont apporté des petits colis contenant du savon, dentifrice, sous-vêtements et de la nourriture en conserve. Au début il y avait entre 350 à 400 juifs de tout âge internés (entre 17 et 77 ans). Après 6 mois il restait entre 200 à 250 juifs les autres avaient été libérés. Parmi eux il y avait mon frère qui s’est retrouvé en Italie. Et c’est grâce à une grande tante qui habitait Brooklyn qui a fait les démarches pour le prendre chez elle. Présentement mon frère vit en Floride.
Quelque temps après, nous avons été transférés à la prison de Torah, là on était moins tassés et plus libres de circuler. Les portes des cellules étaient ouvertes et on pouvait marcher dans les corridors. Ils nous permettaient aussi de sortir dans la cour quelques heures par jour.
Après 2 ans et demi, ce fut le tour de mon oncle et d’autres personnes à être libérés. Il ne restait plus que 90 à 100 juifs en prison, tous de nationalité égyptienne.
J’ai été libéré ainsi que 7 autres personnes le 18 juin 1970, après 1108 jours d’internement. Nous avions les menottes aux poignets durant tout le trajet vers l’aéroport. Ils nous ont enlevé les menottes au moment d’embarquer dans l’avion à destination de Paris. À l’aéroport nous faisions de loin des signes d’adieux à nos parents, car on ne pouvait pas s’approcher d’eux.
Mon père a été libéré quelques jours après moi, pour retrouver ma sœur et mon jeune frère à Alexandrie. De tous les juifs internés seulement une dizaine ont choisi de rester en Égypte.
À l’aéroport de Paris, il y avait pour nous accueillir, un représentant de la HIAS ainsi que quelques internés qui étaient arrivés avant nous.
Je tiens à remercier la HIAS et le CO JA SOR pour tout ce qu’ils ont fait pour nous. J’étais logé et nourri pendant mon séjour de six mois à Paris, pour préparer mes papiers d’immigration pour le Canada. Ils se sont occupés financièrement de tout, même du billet d’avion pour me rendre à Montréal.
Benjamin Melameth
2004-03-27
Sunday, April 8, 2007
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1 comment:
Que cette histoire est émouvante! Ce sont des récits comme celui-ci qui doivent être publiés et lus par le monde entier, pour montrer un peu le traitement que les Juifs d'Égypte ont subis. Et pourtant, Beny, comme tant d'autres, ont tourné la page et se sont refaits un vie pleine de succès. Bravo!!
Rosy (Montréal)
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